Emma Blanchard, étudiante en Master IPCI à l’Université Bordeaux Montaigne et coordinatrice de l’exposition « Météoroïdes » rencontre l’artiste Rebecca Brueder qui présente une œuvre à la vitrine XHC (2, quai des Queyries) jusqu’au 12 septembre.
L’œuvre Briquomérats a vocation à évoluer ; plus tu la montres, plus elle grandit. Peux-tu nous raconter l’apparition de ce processus ?
Effectivement. « Briquomérats » s’inspire de la formation du plastiglomérat, un amas rocheux qui s’agglomère avec les déchets plastiques des océans et forme une pierre mi volcanique/mi plastique. Quand je réinterprète cette pierre je la façonne avec des chutes de briques et du mortier que j’immerge dans des sacs plastique pour façonner l’installation. Après chaque exposition, les « déchets » générés par la pièce deviennent matière à créer les futurs cœurs de plastiques de mes prochains amas, ce qui permettra de changer leur densité et remonter à la surface. Il y a donc de plus en plus de briquomérats à chaque nouvelle exposition de cette pièce, j’augmente alors le nombre de sacs et la pièce s’agrandit.
Dans cette ré-interprétation du plastiglomérat, pour quelles raisons travailles-tu avec des chutes de briques et du mortier ?
Dans mes sculptures, il y a sans cesse la volonté de passer par un médium différent de celui qui compose l’objet initial de mon intérêt. C’est un moyen de me réapproprier ces formes et de créer un léger décalage, parler des même sujets mais différemment. Ici, c’est donc l’idée que notre civilisation et donc nos constructions, qui pour moi sont le symbole de notre culture et de ce que l’on érige, puissent finir comme ce que l’on jette et n’être plus que des pierres polies par la mer et assoupies dans l’océan.
Es-tu déjà en train de prévoir la limite à sa croissance ?
Pour l’instant la pièce atteint environ 200 kilos. Plus elle va être montrée, plus son envergure et son poids vont augmenter. Il est possible qu’arrive un moment où son poids ne permette plus cette suspension. J’imagine que le lieu d’exposition devra être en mesure d’élever un tel poids, si l’armature du lieu ne le permet pas, une structure devra être conçue pour l’accueillir comme pour la vitrine XHC Minor Street. Une ossature pourrait à terme être une réelle partie de la pièce.
Comme tu l’as expliqué, le plastiglomérat est considéré comme un nouveau minéral, marqueur de l’anthropocène. Quel regard portes-tu sur son apparition ?
Comme la plupart des fois où la nature réagit à la trace humaine, le constat est paradoxal. Le fait que l’océan se réapproprie nos déchets pour la création de minéraux peut être perçu comme un bilan de la catastrophe écologique dont nous sommes les acteurs et à la fois nous démontrer que la nature possède une capacité d’adaptation incroyable. Finalement, ce plastique capturé dans la lave n’est plus une menace pour le royaume aquatique. Évidemment il n’y a pas assez de plastiglomérats pour capturer tous nos déchets flottants, ce n’est qu’une infime partie, mais je pense que l’on peut tout de même y voir un espoir : la nature trouve toujours une solution.
Envisages-tu un jour d’aller en prélever en milieu marin ?
Pour la plupart de mes pièces, je travaille souvent à distance. C’est le décalage avec la réalité qui me permet d’aborder les sujets qui me plaise d’une certaine façon. Je trouve que c’est important de garder cette distance, en tout cas avant la création de mes pièces, comme si je les rêvais pour les matérialiser par la suite. Mais maintenant que mes « Briquomérats » ont pris vie j’ai très envie de plonger pour aller les découvrir en vrai, il y en a beaucoup vers Hawaï (les courants et les volcans sous-marins sont propices à la formation du plastiglomérat), mais c’est une destination qui ne rentre pas vraiment dans mon programme…
Des sacs que tu remplis d’eau, l’immersion des briquomérats que tu as toi-même produits : cette pièce évoque la maternité. Pour Météoroïdes, c’est la première fois que tu confies certaines étapes importantes du montage de la pièce à d’autres personnes. Comment as-tu vécu cela ?
C’est vrai que c’est une pièce assez délicate, les sacs sont très fragiles, ils peuvent se percer à n’importe quelle étape des manipulations, ce n’est qu’une fois en place qu’ils ne risquent plus rien, sauf évidemment s’ils ont été traumatisés lors du montage où qu’un curieux touchait la pièce lors de sa monstration. Jusqu’à « Météoroïdes » j’avais toujours installé cette pièce plus ou moins seule pour que chacun de mes 3,5 kilos d’eau soit posé en toute délicatesse. Cette fois-ci nous avons monté la pièce en étant cinq, il m’a semblé que la tendresse et l’attention étaient au rendez-vous, « Briquomérats » s’en porte très bien.
Lorsqu’Élise Girardot t’a invité à faire partie du projet Météoroïdes, comment as-tu envisagé la collaboration avec elle ? Et de manière générale, quel rapport entretiens-tu avec le commissariat d’exposition ?
Élise connait bien mon travail, et je crois qu’elle l’affectionne, tout comme j’affectionne son écriture. Élise a su poser des mots très sensibles et justes sur mon travail dans un texte qu’elle a écrit en avril dernier. Pour cette nouvelle collaboration il y avait des facteurs nouveaux pour moi : que mon travail soit perçu en vitrine ce qui élimine la déambulation pour le regardeur et qui à la fois permet à la pièce de sembler d’autant plus impénétrable. A la fois, cette pièce est présentée directement face à un élément majeur de sa composition, l’eau de la Garonne qui miroite face à elle. Ensuite il y a ce moment magique où le commissariat arrive à croiser des travaux pour des raisons insoupçonnées. Pour Jeanne, Brigitte et moi il y a la volonté de confronter le public à une réalité dissimulée derrière des airs scintillants. C’est un bilan assez triste d’un monde où l’on considère les femmes qui se battent pour leurs droits comme des criminelles, où l’on noie son chagrin dans des analgésiques ou pour ma part l’on nie l’étendu de l’impact de nos déchets. Je dirais donc que le commissariat d’exposition est pour moi un véritable travail d’entremetteur.
Quels sont tes projets pour le futur ?
Je suis depuis peu lauréate du programme Post-Production du Frac d’Occitanie Montpellier, je vais pouvoir produire et composer une exposition avec les trois autres lauréats de cette promotion 2020 dans les murs du Frac. Nous sommes vraiment dans une réflexion commune d’exposition, penser le « ensemble » pour une articulation et un propos juste, c’est ce que nous sommes en train d’élaborer avec le commissaire d’exposition Emmanuel Latreille qui est aussi directeur du Frac.
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Une randonnée urbaine est organisée samedi 5 septembre à 10h30 au départ de la vitrine XHC et en compagnie de la médiatrice Julie Hoedts. Gratuit sans inscription. Durée : 1h30.