Entretien avec Elise Girardot – Espace 29 – Vendredi 14 juin 2019
Peux-tu nous présenter l’exposition ?
Au départ, il y avait 6 artistes. Désormais, il y en a 36. Ce projet a donc beaucoup évolué au fil du temps. C’est un projet artistique lié à mon arrivée dans ce territoire girondin. J’ai beaucoup déménagé, je restais un à deux ans dans une ville. Lorsque je suis arrivée à Bordeaux, je ne pensais pas y rester mais plus les années passent, plus je me sens à l’aise dans la dynamique artistique engagée ici. Lorsque j’ai découvert les multiples paysages du littoral, j’ai été impressionnée par le phénomène de constitution des dunes. Je me suis renseignée sur ce processus. Il y a une certaine métaphore qui s’en dégage : les grains de sables viennent de sédiments qui se détachent des roches des montagnes, puis qui voyagent dans les fleuves, les rivières et les océans. Le vent les fait décoller et ils se posent sur les dunes qui s’agrandissent. Pour moi, cela résonne avec la notion de circulation au sens large. Je suis assez sensible à tout ce qu’implique le nomadisme. Lorsque j’ai creusé ce sujet, cette histoire m’a semblé catalyser un potentiel narratif, sans que cela soit pour autant une thématique d’exposition. À l’Espace 29 (le premier volet du parcours), il n’y a pas de dunes mais des allusions à l’eau et à la roche. Je ne voulais pas que l’exposition en trois étapes explique ce qu’est la dune du Pilat mais plutôt ce que suscite l’histoire de la constitution d’un tel paysage dans nos imaginaires. C’est un prétexte, comme l’incipit d’une histoire, puis chaque artiste et chaque œuvre déroule un chapitre. Je souhaitais qu’il y ait une étape proche de l’océan. Celle-ci prendra place au Cap-Ferret dès samedi 22 juin. Il m’a semblé pertinent de tisser des liens avec d’autres villes, comme Pessac, une ville située entre Bordeaux et le Cap-Ferret. J’ai imaginé que le premier vernissage se déroulerait à l’Espace 29 afin que le visiteur débute l’itinéraire par la ville, pour ensuite faire une halte à Pessac et enfin finir au plus proche des dunes. C’est une manière de faire circuler le public, à l’image des grains de sables qui constituent les dunes. Par conséquent, les publics font partie intégrante du projet. Si on ne voit pas l’ensemble du parcours, c’est-à-dire les trois lieux, on ne perçoit pas l’entièreté du propos que je souhaite déployer. Ce n’est pas un projet participatif mais une invitation à déambuler avec des artistes, de la ville à l’océan.
Tu expliques vouloir révéler le lieu où tu montes une exposition. Qu’as-tu essayé de valoriser dans les trois espaces ?
A l’Espace 29, rien n’est droit, ce qui est également le cas dans la nature. Le sol est en pente ici, on le voit dès que l’on franchit la porte d’entrée. L’exposition commence avec une petite peinture de montagne de Laura Bru et se termine avec un travelling hypnotique de Capucine Vever (qui présente le film Rupes Nigra). Les trois étapes de l’exposition sont des lieux de passage. A l’Espace 29, il y a un bar au sein même du lieu d’exposition. Ce lieu associatif est aussi dédié aux concerts, performances, spectacles et rencontres, en plus des expositions programmées. Le deuxième volet à Pessac est déployé dans une médiathèque (rattachée à un château mais les deux bâtiments sont interdépendants). C’est un endroit vivant, avec un public très diversifié. Étant donné qu’il ne s’agit pas d’un espace d’exposition classique, il a fallu s’adapter aux contraintes d’accrochage. J’ai choisi la ville de Pessac car elle est à l’intermédiaire entre Bordeaux et le Cap Ferret. C’était une halte pour les commerçants du bassin qui vendaient les produits de la mer à Bordeaux. On sait aussi qu’il y a du sable dans les sols de Pessac. Quand je conçois des expositions, j’essaie de révéler l’architecture des lieux ou de suggérer des récits liés aux sites où seront installées les œuvres. À l’Espace 29, les œuvres de Maitetxu Etcheverria ou Geörgette Power font par exemple référence à l’Estuaire de la Gironde et à l’Entre-deux-mers. C’est aussi le cas au Cap-Ferret, avec des œuvres très liées à l’environnement proche (comme avec les travaux de Régis Perray, Benoît Maire, Véronique Lamare, Madeleine Saraïs, Erwan Venn, Thomas Lanfranchi et Alice Raymond).
Une œuvre réalisée par Emmanuelle Leblanc, a été spécialement produite pour cette exposition. Peux-tu nous la présenter ?
Emmanuelle Leblanc m’a présenté son idée autour des colonnes. Plus nous en parlions, plus je me disais que cela s’inscrivait dans le projet Auloffée, un itinéraire. Emmanuelle est peintre. Avec l’installation « Vers le bleu », elle combine peinture, sculpture et installation en travaillant la couleur et sa réception. Elle s’intéresse aussi à la disparition des images. Lorsqu’elle m’a expliqué son processus de son travail (notamment l’attente inhérente aux temps de séchage des couches de peinture à l’huile), nombre d’informations résonnaient avec ce que j’avais envie de transmettre dans mon projet. Par l’action du vent, les traces de nos pas disparaissent lorsque l’on marche dans le sable des dunes. Cela fait écho aux images d’Emmanuelle qui disparaissent aussi. Devant les travaux de cette artiste, j’éprouve une sensation proche de ce que je pourrais vivre lors d’un moment d’observation dans un paysage (comme des impressions fugaces de lumières ou de vents changeants). Pour cette installation, j’ai cherché un lieu et j’ai découvert au Château de Camponac à Pessac. C’est une salle très blanche et lumineuse qui donne sur le parc du Château. Lorsque le visiteur arrive au début de l’exposition, c’est-à-dire devant la médiathèque, il y a un cheminement avec plusieurs œuvres qui mènent aux colonnes d’Emmanuelle. L’histoire débute avec une série de Lyse Fournier, cinq images de rivières imprimées sur dibon. Puis, on aperçoit un homme en équilibre sur une barque avec la vidéo de Julie Chaffort et un étrange caillou de la peintre Coline Gaulot. Peu à peu, l’idée de l’océan apparaît avec une photo de Bruno Falibois. Les trois colonnes bleues d’Emmanuelle, peintes en dégradé, font référence à une vague en mouvement. On peut difficilement représenter une vague car celle-ci est par essence éphémère, il est difficile de la figer dans le temps. D’une colonne à l’autre, le dégradé évolue. Une quatrième colonne visible à la Cité Frugès Le Corbusier correspond à la fin de la vague. Ainsi, je propose aussi une déambulation au sein même de la ville de Pessac, ce qui me semblait pertinent par rapport à l’idée de circulation. L’œuvre d’Emmanuelle est aussi une ouverture vers le troisième volet du parcours à Lège-Cap- Ferret, où elle présente une grande toile jaune. Le projet Auloffée existe surtout grâce à des subventions publiques mais pour la production des colonnes, nous avons bénéficié du mécénat des entreprises Dauchez Payet et Unikalo.
Que peux-tu nous dire sur les projections présentées hors-les-murs ?
J’ai voulu ponctuer les trois étapes principales par une sélection de vidéos diffusées à Metavilla, au CAPC et à Continuum. La vidéo du CAPC a été réalisée par Mariana Smith, une artiste brésilienne rencontrée lors d’un voyage début 2018. Je pensais alors déjà au projet Auloffée. J’ai découvert là-bas des déserts de dunes au Nord-Est du pays, cela m’a d’autant plus encouragée à concrétiser ce parcours. Par la suite, à Fortaleza, j’ai rencontré Mariana Smith – elle réalise des vidéos et installations – et présentait alors une exposition solo intitulée « Mémoires d’un futur en ruine ». Une autre vidéo de la même artiste est exposée au Cap-Ferret, et vient clore l’ensemble du parcours. Cette courte vidéo est un zoom sur la cime d’une dune, on y voit le sable danser en créant de petits tourbillons. Au CAPC, la vidéo « Archéologie d’un paysage » révèle les variations de lumière sur un paysage de dunes presque brulées par la réverbération du soleil. Je trouvais intéressant de découvrir un tel paysage au milieu d’une architecture comme le CAPC. Cette dualité fonctionne bien.
A Continuum du 5 au 7 juillet, d’autres films feront écho aux artistes présentés dans les expositions collectives (on découvrira de nouveaux films de Laura Haby, Geörgette Power et Capucine Vever artistes également présentés jusqu’au 7 juillet à l’Espace 29, ou encore le film du duo d’artistes Zainab Andalibe et Nicolas Kozerawski, présentés au Cap Ferret avec une installation au sol). Je choisis de tendre des fils entre les œuvres, je trace des lignes entre les différents espaces et villes. Les vidéos présentées à Continuum constituent une ouverture sur la notion d’itinéraire par le biais d’autres œuvres, comme le film Hunt réalisé par Julie Chaffort.
Chacun des artistes reçoit des droits de monstration. Le calcul de ces droits dépend du lieu d’exposition, de ses moyens, des artistes et de l’envergure de la pièce. Cependant, j’ai préféré allouer à chaque artiste la même rémunération. Le fait qu’il n’y ait pas de règlementation à ce sujet, constitue un vrai problème dans le milieu de l’art. Il faudrait que les lieux – lorsqu’ils sont soutenus par des fonds publics ou privés – mettent en œuvre systématiquement l’application de ces droits symboliques (car ils reconnaissent que chaque œuvre résulte d’un long travail : le temps de recherche et la réalisation technique). C’est un sujet qui nécessite encore beaucoup de discussions.
Propos recueillis par Stacy Nardin
Calendrier :
. Vernissage samedi 22 juin à 12h, Lège-Cap-Ferret (Petit Piquey). Exposition collective présentée jusqu’au 21 septembre.
. Rencontre avec la commissaire d’exposition samedi 29 juin à 11h, Lège-Cap-Ferret (Petit Piquey)
. Projections à Continuum du 5 au 7 juillet dans le cadre du WAC (Bordeaux).
. Rencontre avec l’artiste Emmanuelle Leblanc samedi 20 juillet à 11h, Lège-Cap-Ferret
(Petit Piquey)
. Atelier dessin adultes et enfants avec l’artiste Erwan Venn, mercredis 24 juillet et 28 août à
10h (sur réservation), Lège-Cap-Ferret (Petit Piquey)
+ d’infos sur Facebook : @Auloffée, un itinéraire et Instagram : @auloffée_expositions