• Vue de l'exposition Éclipses, Aurélien Mauplot et Laurie-Anne Estaque, Les Arts au Mur Artothèque, Crédits photos : G.Deleflie

    Vue de l'exposition Éclipses, Aurélien Mauplot et Laurie-Anne Estaque, Les Arts au Mur Artothèque, Crédits photos : G.Deleflie

Précédent Fermer Suivant

Aurélien Mauplot et Laurie-Anne Estaque

Entretien avec Aurélien Mauplot et Laurie-Anne Estaque, à l’occasion de l’exposition Éclipses, jusqu’au 22 septembre 2019

 

Partenariat les arts au mur artothèque, Quartier Rouge, L’atelier Les Michelines, Documents d’artistes Nouvelle-Aquitaine.

Une action du contrat de filière arts plastiques et visuels Nouvelle Aquitaine

 

 

Qui a eu l’idée de cette exposition à plusieurs voix ? [Pomme Boucher/Anne Peltriaux]

Pomme : Suite à une visite à Felletin dans le cadre des Echappées et des rencontres organisées à l’occasion du SODAVI Nouvelle-Aquitaine, Anne Peltriaux, directrice de l’artothèque, a visité les ateliers des artistes présents à Felletin. Cette visite était organisée par Quartier Rouge, structure de production artistique basée à Felletin depuis 2006 et membre du réseau ASTRE.

Anne Peltriaux a ensuite recontacté Quartier Rouge afin de proposer un partenariat et une exposition collective dans la galerie de l’artothèque. Quartier Rouge souhaitait également développer une collection de sérigraphie limitée proposée à des artistes avec qui elle collabore. Laurie-Anne Estaque et Aurélien Mauplot font partie de ces artistes et la même année ils ont tous les deux étés retenus par Documents D’Artistes Nouvelle-Aquitaine pour faire partie de leur fonds. Ensemble, avec les Michelines (atelier de sérigraphie à Felletin) partenaires de Quartier Rouge et avec qui les deux artistes avaient déjà collaboré, nous avons monté ce projet comme l’opportunité de poursuivre nos collaborations et d’enrichir le travail de chacun.

Anne : Pour compléter ce qu’a dit Pomme Boucher, directrice artistique de Quartier Rouge, ce projet est né de rencontres dans le cadre du SODAVI. Nous avons souhaité monter un projet collaboratif autour de deux artistes, Laurie-Anne Estaque et Aurélien Mauplot (il est également présent dans la collection de l’artothèque) à l’échelle de la région Nouvelle-Aquitaine. Ce projet a reçu le soutient du réseau ASTRE – Réseau arts plastiques & visuel Nouvelle-Aquitaine (action du contrat de filière arts plastiques et visuels Nouvelle-Aquitaine 2018).

 

Comment travaillez-vous ? [Laurie-Anne Estaque/Aurélien Mauplot]

Laurie-Anne : Tout dépend des sujets que j’ai envie de traiter, il existe différentes méthodes.

Prenons pour exemple les œuvres qui sont montrées dans l’exposition.

 

Pour les deux grands dessins (L’Extraordinaire entresort et Les français sont vicelards) il s’agit de grandes fresques, des épopées qui nécessitent tout d’abord un travail de documentation fourni (banque d’images, de photos, logos, signes, articles de presse, archives sonores…). Ces éléments sont ensuite reproduits, copiés, recopiés ou décalqués et agencés au fur et à mesure selon une composition grossièrement préétablie (pour L’Extraordinaire entresort) ou cartographiés au gré de l’avancement du dessin sans schéma préparatoire (pour Les Français sont vicelards). Je travaille sur du papier, à plat sur une grande table à dessin fabriquée sur mesure par Vincent Crinière (qui a aussi conçu les vitrines de l’exposition pour les sérigraphies de la collection Éclipses). Je dessine au crayon, à la gouache et à l’aquarelle.

 

Pour les sérigraphies (The south side of the moon et éclipse) la démarche est tout autre. Pour The south side of the moon, j’ai commencé à travailler sur cette carte géologique de la lune lors d’une résidence en Islande. À mon retour, j’avais l’idée d’une édition plutôt modeste qui s’est transformée en une véritable aventure. J’ai soumis ce projet (un peu dingue) de réaliser cette carte en sérigraphie en autant de couleurs qu’il y avait de roches, mais réduite à 20 passages de couleurs. J’ai présenté ce projet à Mélanie Leduc, sérigraphe, de l’atelier Les Michelines. Mélanie, dès la conception du projet s’est emparée des questions techniques liées au médium mais c’est aussi elle qui a eu l’idée de garder une épreuve de chaque passage. C’est ce processus qui est montré à Pessac. Toutes les étapes sont visibles, de la première feuille monochrome, jusqu’à la dernière avec les 20 couleurs.

 

Pour la sérigraphie éclipse, il s’agissait de répondre à une commande. Pomme Boucher de Quartier Rouge avait dans l’idée de créer une collection autour du terme « éclipse » en invitant des artistes (avec lesquels elle travaille et dont je fais partie) à répondre à ce sujet. Les seules contraintes étaient le thème (éclipse), le format (50x50cm), le médium (la sérigraphie) et cinq passages maximum de couleur. L’idée étant aussi de bâtir un partenariat avec l’atelier Les Michelines autour de la sérigraphie. Aurélien et moi avons été les deux premiers artistes à inaugurer cette collection. J’ai eu envie de répondre de manière presque terre à terre à cette idée d’éclipse et par la même occasion de me pousser à travailler dans une forme la plus minimale possible. C’est quoi une éclipse ? C’est quand une forme va être recouverte, petit à petit, par une autre, partiellement, totalement puis en être libérée pour se retrouver à nouveau seule, centrale et fixe. J’ai joué avec deux formes rondes mais pas tout à fait et deux couleurs, le rouge et le vert. L’enjeu était de savoir comment les formes allaient cohabiter. Qu’est-ce qui allait se produire quand les deux formes commenceraient à se toucher, mais pas tout à fait, puis se recouvrir. J’ai beaucoup travaillé sur le dessin des formes et avec Mélanie nous avons élaboré et expérimenté très en amont les choix de couleurs et de transparence des encres. Répondre à cette commande est pour moi une nouvelle ère qui s’ouvre, plus formelle, c’est aussi un travail d’équipe et de partage.

 

Et enfin pour la série Erase the landscape, il s’agit d’un processus qui s’étend sur plusieurs années et qui dure encore. L’idée simple étant de recouvrir à l’aide de marqueurs noirs des cartes postales touristiques des territoires où je vis ou que je traverse. C’est comme dans l’effacement d’un paysage en révéler la fragilité, la disparition. J’ai à l’occasion de l’invitation de l’équipe de l’artothèque proposé de travailler à partir de cartes postales de Pessac, or il n’existe pas de cartes postales de la ville de Pessac ! Les seules cartes éditées sont celles de la cité Frugès de Le Corbussier. Anne m’a donc envoyé les cartes de la cité qu’elle possédait. J’ai travaillé à distance dans mon atelier puis leur est envoyé mes propositions. Nous en avons choisi une car j’avais dans l’idée (toujours avec Mélanie) de proposer des tirages sérigraphiés en direct le jour du vernissage. Ce que nous avons fait. Numérotées et signées les cartes ont donc été offertes à tous ceux qui en voulaient.

 

Aurélien : Les processus de création varient selon les contextes. Les temps de recherches sont relativement longs et lents. Je les conçois lors de marches, (ville, montagne, campagne), de voyages (si ce n’est pas la même chose), de lectures, des rencontres et de mes rêves, en vue d’arriver à un objet essentiel : l’entonnoir. J’y insère l’ensemble des idées, peu importe leur qualité ou leur faisabilité, pour en extraire l’essence, le plus essentiel, ce qui au final, ne peut plus être exclu ni ignoré, mais nécessaire. Cet objet devient alors le projet qui se réalisera dans l’heure ou dans plusieurs années. Le temps ayant peu d’importance dans mon activité.

Par ailleurs, plus pragmatiquement, je m’intéresse constamment à l’histoire de certains lieux sur terre (Antarctique, Kerguelen, Polynésie, Italie, Terre de feu…) qui exercent sur moi une attractivité passionnante et déconcertante. Je plonge dans ces histoires pour en découvrir (fabriquer) de nouvelles.

C’est de cette manière qu’est née Moana Fa’a’ aro.  Elle est la suite naturelle d’une exposition, Subisland (Maison abandonnée, Nice, 2015) pour laquelle je menais une recherche à propos d’une île inconnue, arbitrairement nommée Subisland (un espace, un lieu, englouti, invisible, inaccessible ?). J’y ai même sollicité l’IGN, l’IFREMER, le Muséum d’histoire naturelle de Nice pour la trouver. C’est quelques mois plus tard que je découvre l’existence de Moana Fa’a’aro. Une île perdue au fin fond du Pacifique, découverte par hasard en 1839, lors d’une expédition qui devait poser les premiers pieds français en Antarctique. J’ai d’abord trouvé l’histoire étonnante et j’ai poursuivi mes recherches jusqu’à découvrir que cette île se déplace, qu’elle a été retrouvée en 2008 et qu’elle a depuis, certainement été engloutie par l’écroulement du volcan et la montée des eaux, fardeau des îles pacifiques.

Cette grande épopée est construite selon ce qui résulte de mes recherches et de mes voyages. Je vis avec, comme une vie parallèle et similaire, à la limite du réel ou aux confins des rêves, sans jamais les atteindre. Se confondent ainsi l’imaginaire, le réel, la quête d’un absolu inconnu. Et finalement, je ne travaille pas puisque je fais partie de l’histoire.

 

 

Pourquoi proposer ces 2 artistes dans une même exposition ? [Tous]

Pomme : Tout d’abord parce qu’il s’agissait d’une invitation collective de la part de l’artothèque, mais également parce que le principe de la collection ÉCLIPSES est de proposer un dialogue aux artistes autour de ce mot à travers une édition sérigraphique. Laurie-Anne Estaque et Aurélien Mauplot sont les deux premiers artistes invités à répondre à cette invitation. Ils sont tous les deux proches de Quartier Rouge et partagent des préoccupations communes tout en ayant un travail très différent. Cette invitation à deux voix a été l’occasion de rentrer directement dans le dialogue recherché pour la collection : à la fois formel et artistique, mais également de poursuivre et de développer des collaborations à venir.

 

Anne : J’ai eu l’occasion de les rencontrer tous les deux et de découvrir leur travail lors de ma visite à Felletin. Leurs présentations étaient passionnantes ! Laurie-Anne et Aurélien avaient également le souhait d’exposer ensemble, ce qui ne leur était jamais arrivé malgré leur proximité géographique. A la suite de ce voyage, une œuvre d’Aurélien est entrée dans la collection de l’artothèque, offerte par un groupe de collectionneurs Gourmand’art. D’autre part, ces deux artistes avaient été sélectionnés par le fonds documentaire Documents d’Artistes en Nouvelle-Aquitaine – un partenaire avec qui nous proposons également des visites d’ateliers d’artistes – et que nous souhaitions associer au projet.

 

 

Qu’est-ce qui vous plait le plus dans le travail de l’autre / des artistes ? [Tous]

Laurie-Anne : Je connais Aurélien depuis plusieurs années. Et je dirais que l’endroit où nous nous sommes vraiment rencontrés, artistiquement, c’est au sein de L’Atelier de géographie populaire du plateau de Millevaches. Un groupe formé par des habitants de la montagne limousine sur le plateau de Millevaches porté notamment par des associations dont Quartier Rouge, mais surtout Pivoine et La Pommerie où travaillait Aurélien à l’époque.

Je dirais que c’est dans ce groupe d’expérimentation cartographique que nous avons commencé à partager nos regards sur les territoires. Nous avions tous deux un travail très axé sur la cartographie sans le savoir et des entrées très différentes en la matière. Aurélien a une approche pour moi très romantique et onirique dans ces récits. Mais méfiez-vous, il y a pas mal de choses vraies dans tout ce qu’il nous raconte, c’est sans doute ce que je préfère de lui.

 

Pomme : J’aime la manière dont le travail d’Aurélien Mauplot, à travers une collection de signes témoins : récits, objets collectés, fabriqués, m’amène à interroger ma croyance en l’existence de terres encore inexplorées, aux mystères du monde.

Ce que j’aime dans le travail de Laurie-Anne Estaque, c’est son attachement scrupuleux à reproduire, à dessiner, à représenter, comme autant de gestes répétés afin de comprendre la structure et le sens des images et du monde comme autant d’évidences qui ne le sont pas.

 

Alors que l’un collecte les signes à travers un récit en construction et en perpétuelle extension, comme les preuves de l’existence d’une île mystérieuse, d’un paradis perdu, l’autre étudie les paradis fiscaux et les représentations du monde ainsi que la poétique des gestes qui les ont produit.

Le dialogue entre ces deux artistes me plaît aussi particulièrement.

 

Anne : Bien que leurs démarches soient visuellement très différentes, j’y vois des affinités autour des questions de narration et de cartographie, qui tissent un fil entre leurs propositions, empreintes de poésie. Toutes les œuvres exposées nous entraînent dans des univers oniriques très forts. Réalité ? Fiction ? Chaque jour, je passe dans la salle d’exposition explorer de nouvelles pistes, et je pourrai y passer des heures !

 

Aurélien : Je ne peux pas dire ce qui me plaît le plus dans le travail de Laurie-Anne. D’abord, parce qu’elle produit beaucoup, peut-être aussi parce que nous sommes proches et amis, mais surtout parce qu’elle est sa propre œuvre. En y repensant, je revois ses carnets et ses prises de notes, qui deviennent aujourd’hui des œuvres à part entière (qu’on lui commande parfois) ; les cartes postales ou les tickets à gratter qu’elle attend, qu’elle se procure, qu’elle reçoit, deviennent des objets précieux ; et son histoire propre qui devient œuvre. Il y a chez elle une infinité de délicatesses et de passions qui me fascinent. Et si je dois préférer quelque chose dans sa production, c’est sa manière de faire et là où elle en est aujourd’hui. D’arriver à produire éclipses est la conséquence d’années de recherches et d’influences, de barbouillages et de récréations, et lorsque l’on connait un peu son parcours, il est évident aujourd’hui qu’elle a trouvée et tournée une page fondamentale dans sa vie d’artiste.

 

 

Si vous deviez expliquer votre œuvre en une phrase :

 

Aurélien :

– Mais c’est vrai ?

– Si tu savais…

 

Laurie-Anne : C’est impossible et je ne le souhaite pas… sinon, je dirais que je m’applique à la critique avec lenteur, de toutes les contrefaçons possibles.

 

Propos recueillis par Laura Bongio

  • Vue de l'exposition Éclipses, Aurélien Mauplot et Laurie-Anne Estaque, Les Arts au Mur Artothèque, Crédits photos : G.Deleflie

    Vue de l'exposition Éclipses, Aurélien Mauplot et Laurie-Anne Estaque, Les Arts au Mur Artothèque, Crédits photos : G.Deleflie