• Marco Decorpeliada, Schizomètres au Musée de la Création Franche

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Marie Volle et Hélène Ferbos

Marie Volle, chargée de médiation et communication

Hélène Ferbos, régisseure des oeuvres

Musée de la Création Franche

 

Ce n’est pas la première fois que l’exposition schizomètres est montée, la première ayant au lieu à la célèbre Maison Rouge, pouvez-vous nous en dire plus ?

 

MV: C’est Antoine de Galbert, le créateur de la Maison Rouge, qui a le premier donné sa chance au travail de Marco Decorpeliada. C’est ce qui a d’ailleurs permis de monter cette exposition aujourd’hui à la Création Franche puisque c’est à ce moment là que le directeur du Musée, Pascal Rigeade a découvert cette exposition. Cela avait déjà attisé son attention et sa curiosité à l’époque.

Si nous avons choisi de monter Schizomètres maintenant, c’est aussi pour faire écho au colloque L’art brut existe t-il ?, organisé par le Musée John et Eugénie Bost, qui a eu lieu à la Force du 25 au 27 mars, et dont nous sommes partenaires.

Le travail de Marco Decorpeliada nous semblait idéal parce qu’il est clairement dans le cadre de l’art brut, et pose justement la question de la nature de celui-ci.

 

 

Parlez-moi un peu de l’artiste, Marco Decorpeliada, de son histoire et de son travail ?

 

MV: Le parcours de Marco Decorpeliada est assez atypique, même si, au sein du Musée de la Création Franche, il ne l’est pas tellement ! Des parcours un peu « cabossés » de personnes hospitalisées dans des institutions, on en possède un certain nombre même si ça ne représente pas l’intégralité de nos créateurs.

Il rentre dans le domaine de la création dite « brute » parce qu’il est autodidacte et qu’il y a un événement déclencheur à sa création :

Né en 1947. Il semble mener une vie assez heureuse, faite d’aventures et de voyages, jusqu’à la mort de sa mère en 1995. Il va alors basculer dans une période d’errances, pendant laquelle il est interné dans plusieurs hôpitaux psychiatriques. Ce n’est que dans les années 2000 qu’il va commencer à créer. Ses Schizomètres lui permettent de répliquer aux différents diagnostics qui lui ont étés imposés en établissant notamment un parallèle entre le DSM IV, système de classification des troubles mentaux et… le catalogue des surgelés Picard !

 

Marco Decorpeliada utilise des éléments du quotidien – comme des mètres ou des portes de congélateurs – afin de tenter d’apprivoiser et de questionner ces classifications psychiatriques qu’on lui a mises sur le dos et qu’il ne comprenait pas. Il y a chez lui une répétition du geste, une volonté d’aller jusqu’au bout de sa création. Il créait vraiment pour démontrer quelque chose. Son travail n’a été connu qu’après son décès, en 2006.

Je ne suis même pas sûre qu’il ait lui même considéré ses créations comme des œuvres à part entière. Il a simplement eu une sorte d’intuition, quelque chose en lui qui a fait «tilt», avec le DSM, le Catalogue Picard et les portes de frigos, et il a voulu aller au bout de sa démarche. Le tout formant des œuvres assez singulières, très graphiques dans leur répétition et dans leurs formes.

Comme souvent dans l’art brut, ce sont des tiers qui vont relever la singularité de ces œuvres.

 

 

 

D’ailleurs, qui a « découvert » Marco Decorpeliada, et qui s’occupe aujourd’hui de la diffusion des œuvres ?

 

MV : Le commissaire de l’exposition, Yan Pelissier, est intervenu seul à Bègles, mais il fait partie d’un collectif composé d’historiens de l’art, de psychologues. Ces cinq personnes ont été touchées d’une manière où d’une autre par l’œuvre de Marco Decorpeliada et ont voulu faire vivre sa création. Ils organisent d’ailleurs souvent des conférences-performances sur la vie et l’œuvre de l’artiste.

 

 

À propos du commissariat de l’exposition, comment s’est déroulé le travail avec Yan Pelissier ? A t-il tout organisé de A à Z ?

 

HF: C’est une expo « clés en main », mais avec une certaine marge de liberté laissée à notre équipe. Tout d’abord, nous avons effectué une sélection parmi les œuvres proposées par le commissaire, qui est ensuite venu pour nous indiquer une marche à suivre générale concernant le séquençage de l’expo. Il a déterminé une manière de présenter le travail de l’artiste, avec une chronologie dans son évolution et la création de son système de pensée. Il fallait donc suivre cette chronologie, pour le reste de la scénographie on est restés assez libres.

 

 

Et pour finir, est-ce que vos deux champs de métiers – médiation et régie des œuvres – s’exercent différemment dans le domaine de l’art brut ?

 

MV: A l’origine il n’y avait pas forcément de médiation ici, la proposition de visites est arrivée un peu sur le tard. Si on se réfère à Jean Dubuffet, qui a théorisé la notion d’art brut, il ne devrait même pas y avoir de médiation au sein du musée ! C’est à dire qu’on ne doit pas accompagner, ni diriger le regard. De la même manière, la mise en place de cartel est assez limitée.

Selon Dubuffet, tous ces objets, ces éléments parasites influencent le regard ; alors que chaque spectateur peut et doit devenir acteur, en se faisant sa propre opinion cognitive et sensitive des œuvres.

 

La médiation à la Création Franche se veut donc factuelle, on présente essentiellement le parcours des créateurs exposés. On ne va pas amener de clés de compréhension esthétiques, je dirais ; parce qu’on n’a pas forcément ces éléments. Les artistes n’ayant pas souvent la capacité de nous donner des explications puisqu’ils créent de manière vraiment très spontanée, très libre, sans anticiper un concept à leurs œuvres. Comment après, en tant que médiateurs, se substituer à ce discours qui n’existe pas ? Nous sommes donc dans une recherche de dialogue, d’échange d’émotions, afin de savoir ce que tout cela provoque chez les gens.

La médiation passe aussi par la programmation d’événements associés aux expos et qui sont souvent pluridisciplinaires, ils permettent d’enrichir le propos et de faire découvrir de nouvelles formes. Par exemple un des prochains rendez-vous en lien avec Schizomètres sera une conférence gesticulée : le formatage culturel m’a tuer.

 

 

HF: Ce qui est très très différent pour le régisseur d’une collection d’art brut, c’est que les auteurs, par définition, sont autodidactes, et donc n’ont pas eu d’apprentissage technique. Ce sont donc des créateurs qui vont mettre en œuvre des techniques souvent improvisées, parfois inventives et des matériaux qui ne sont souvent pas pensés pour durer.  Nous avons donc une majorité d’objets qui sont assez fragiles et qui n’ont pas vocation à être exposés, la dimension accrochage n’étant absolument pas prise en compte. On se demande même parfois si on n’est pas en train de dénaturer l’objet en y adossant un système d’accrochage !

 

Il faut donc avoir beaucoup d’humilité, s’adapter à chaque objet et comprendre chaque artiste et son univers parce que, dans les caractéristiques des matériaux, il y a aussi le fait que ces auteurs vont souvent glaner dans leur environnement immédiat leurs moyens de créer. Ce qui donne donc des matériaux absolument improbables, du polystyrène, du dentifrice… Ces matériaux posent bien entendu des problématiques de conservation qui peuvent ressembler à celles posées par de l’art contemporain en général, c’est donc vraiment l’aspect de mise en exposition qui diffère vraiment ici.

Nous exposons des objets qui peuvent être perçus de différentes manières sociologiques, ethnologiques, esthétiques, … Ces objets aux multiples valeurs se retrouvent donc aux frontières de plusieurs notions et peuvent être abordés de manières complètement différentes ! C’est pourquoi aujourd’hui nous questionnons toujours la notion d’art brut.

 

Propos recueillis par Jules Bertrand

 

 

Lien :

Conférence sur Marco Decorpeliada

 

 

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