NERVURES
[Se dit aussi des embranchements de chaînes de montagnes]
L’essentiel des tissus conducteurs de sèves se situe au niveau des nervures d’une feuille. Les filets longilignes parcourent la surface de certaines plantes et de pétales de fleurs. On retrouve ces sillons sur les ailes des insectes ou en architecture, pour désigner les parties saillantes d’une moulure ou d’un angle de pierre.
L’énergie du travail d’Alice Raymond voyage d’une œuvre à l’autre, empruntant à la nature les forces vitales qui la caractérisent. Sa recherche nervurée propose un concentré immédiat de langage, un idiome codé qui nous livre des outils direction- nels, des éléments cartographiques énigmatiques. Ici et là, on observe des contours irréguliers ou des îles qui flotteraient dans l’imaginaire ; des trouées aux limites floues dévoilant une réalité sinueuse, incertaine ou en devenir.
Soudain, une île survivante émerge dans une ramification de lignes (Banquise, 2018), l’un des derniers blocs qui résiste à la fonte des glaces. Pour les auteurs de L’Évènement Anthropocène, paru en 2013, l’anthropocène signale le retour de la Terre dans un monde que la modernité occidentale s’était représenté comme flottant en apesanteur au dessus du socle terrestre…
Alice Raymond opère des percées dans le paysage. Les surfaces se déclinent en dessin, peinture et sculpture. Les répertoires de formes naviguent et traversent des cadres, des structures, des espaces. Une matérialité se détache de ce lexique abstrait : au dessin, succède parfois une sculpture.
L’exposition Nervures propose une itinérance à travers des formes exilées. Elles gravitent d’un contexte à l’autre et dessinent une constellation, un nuage d’images en apesanteur. Cet herbier composé d’abstractions serait-il un instrument de mesure du paysage ?
Élise Girardot, mai 2018
Née dans la région parisienne, Alice Raymond a grandi en Allemagne puis vécu en Suède et aux États-Unis. En conséquence de ses nombreux déplacements, l’artiste s’est naturellement intéressée aux cartes de géographie, à la façon dont celles-ci permettent d’appréhender un territoire et de traduire le monde. L’impermanence de la situation de l’artiste se reflète dans la diversité d’oeuvres qu’elle produit : sa pratique se développe en étapes, de la photographie au dessin, vers la peinture puis l’installation suivant le processus de sédentarisation de l’artiste et l’exploration d’un nouveau territoire. Depuis deux ans, Alice Raymond a choisi de relire la région, entre Bordeaux où elle a son atelier et la région familiale des rives de la Dordogne. Son travail a été présenté dans plusieurs galeries et centres d’art aux États-Unis et en Europe dont le Musée d’art contemporain de North Miami, l’Institut d’art contemporain de San Jose, et s’est développé lors de résidences comme AIRIE (Artits In Residence In the Everglades). Il fait actuellement l’objet d’un partenariat de production avec l’entreprise bordelaise T2i dans le cadre du nouveau Pôle Inno- vation et Créativité du FRAC Méca.
Élise Girardot est curatrice indépendante. Elle collabore auprès d’artistes émer- gents par la production d’expositions, de performances ou de textes. Elle envisage la position du curateur d’un point de vue exploratoire et déploie une recherche élargie, révélant un débordement de l’exposition. Après des études de Lettres modernes, elle intègre le Master de recherche en art CCC (Critical, Curatorial, Cybermedia) de la HEAD, Haute École d’art et de design de Genève. Depuis, elle s’intéresse aux porosités entre les pratiques plastiques et chorégraphiques en investissant les formes de l’exposition performée et performative. En 2017, elle co-écrit la performance Cristal Liquide avec l’artiste Cynthia Lefebvre (diffusée à l’Afiac dans le Tarn et au CRAC de Montbéliard). La même année, elle est invitée par le Weekend de l’art contemporain de Bordeaux à concevoir un parcours curatorial inspiré des pratiques situationnistes. À l’hiver 2017-2018, elle produit le projet BOCA A BOCA, un protocole d’écriture nomade à la rencontre d’artistes brésiliens. Souvent in situ, ses projets d’écriture ou d’exposition deviennent des prétextes narratifs et cherchent à révéler les espaces et les lieux où ils s’implantent.