Peux-tu nous parler du titre que tu as choisi pour cette exposition à 5UN7 ?
Potemkine était un ministre russe, entouré d’une sorte de légende qui raconte qu’à l’occasion de la visite d’une impératrice, un village aux façades assez décrépies avait été transformé par des décors à l’échelle 1 pour servir de cache-misère, des décors en carton-pâte. Cela fait quelques années que je m’intéresse à l’architecture, à des éléments que je photographie, et je vois vraiment dans les façades des motifs picturaux qui s’apparentent pour moi à un tableau. De ce fait, j’introduis dans mon travail des rythmes, des éléments présents dans les façades, et il y a toujours ce côté de « décor », une sorte de mise en abîme qui m’intéresse beaucoup. J’ai découvert cette expression de « village Potemkine » il y a quelques temps, et l’idée de décor étant présente dans mon travail j’ai trouvé que cela pouvait être un titre intéressant et une belle entrée en matière pour cette exposition car il amène plusieurs pistes de lecture : à la fois le côté très décoratif qui peut frôler le kitsch mais qui peut aussi faire référence à une politique. Le terme « village Potemkine » revient encore actuellement dans le langage commun et donc ce détournement en « Villa Potemkine » joue justement avec ce côté plus kitsch et c’est cette jonction de deux qui m’intéressait. C’est en discutant avec Amandine Pierné et Joan Coldefy pendant la création de cette exposition que j’ai décidé ce détournement de « village » en « villa » car je le trouvais complètement adéquat pour jouer sur des lectures assez différentes.
Car d’ailleurs on rentre dans une villa avec l’installation que tu as choisi d’exposer à l’entrée …
Oui, absolument et je l’ai pensée ainsi avec cette façade et le seuil de la villa que l’on traverse pour avancer dans l’exposition. J’avais vraiment envie de travailler sur un côté assez frontal pour l’entrée de cette exposition, une sorte d’espace dans lequel on rentre. J’avais envie de modifier un peu le lieu d’exposition.
Comment t’es venue l’idée de cette scénographie in situ qui se prolonge jusque dans l’espace bar ?
J’ai souvent une pratique in situ, parfois même en extérieur, et j’aime travailler avec le lieu d’exposition dans lequel je m’installe. L’existence de cet autre espace, ce bar, m’a permis de créer une sorte de zoom de l’autre côté qui rejoue avec ce côté pilastre, de peintures … comme un clin d’œil à l’espace traditionnel d’exposition. J’ai vraiment joué sur une sorte de dualité d’espace où il a très peu de couleur à l’entrée, puis passée l’installation c’est tout le contraire avec un côté très présent des couleurs vives, des différentes tonalités. Pour le bar cependant je n’ai pas recherché consciemment l’accord des teintes ; j’ai choisi d’y exposer une série de deux peintures appelées Architectures itératives, c’est-à-dire construites sur un rythme, que j’ai entourées de deux pilastres.
Pour moi la circulation du spectateur au sein de l’espace d’exposition est aussi cruciale. C’est pour cela que je voulais jouer à la fois sur un côté frontal et sur la déambulation de chacun. Reconstituer un tout autre espace au sein de l’espace de la galerie à partir des fragments architecturaux que j’ai collectés et retravaillés est aussi le nerf de mon travail. Par exemple j’ai réalisé Chimères [N.D.L.R. : réalisées lors de la résidence à l’espace d’art contemporain Le Bel Ordinaire à Pau en 2014-2015] qui était tout un ensemble d’éléments que j’avais photographiés, et à partir de cette banque d’images j’ai décidé de recréer des architectures et des espaces à partir de fragments très divers. Je m’étais fixée une échelle et je manipulais tous ces éléments en fonction de celle-ci dans l’espace que j’avais envie de créer. J’ai donc réalisé des sculptures et des installations dérivant de fragments architecturaux et ainsi recréé un espace dans l’espace qui m’était donné. Je travaille de manière assez empirique en général.
La collecte de photographies que tu évoques renvoie à la démarche que tu adoptes souvent dans ta pratique artistique, t’amenant à déambuler dans les villes, appareil photo à la main, et à photographier des éléments architecturaux et urbains qui te frappent ou attirent ta curiosité, puis à retravailler cette banque d’images. Les pièces que tu as choisi d’exposer ici sont-elles des produits de tes déambulations à Bordeaux ?
Non, pas du tout. Il y a des photos que j’ai prises à Grenoble, en Espagne, à Sainte-Foy-la-Grande, à Flers en Normandie, à La Rochelle … Aucune des peintures que j’expose ne sont des images de la ville de Bordeaux. Mais ce qui me paraissait intéressant c’était justement de donner ce titre avec cette idée de façade dans cette ville complètement en chantier, à la fois classée Patrimoine Mondial de l’UNESCO, mais qui est aussi confrontée à des champignons qui poussent et des ravalements de façades. Les villes dans lesquelles je fais ces photos ne m’importent plus vraiment au final car c’est plus pour moi un moyen de constituer une banque d’images d’éléments que je photographie. Des fois je ne note même pas les villes d’où elles sont issues. Ce qui me plaît c’est vraiment d’extraire ces éléments et de jouer sur un côté qui tend vers l’abstrait tout en ayant des éléments et des fragments qui peuvent faire écho à une possible forme d’origine ou un contexte d’origine.
Tu évoques l’abstraction et, en effet, la géométrisation des formes est assez prééminente dans ton installation, tes dessins et tes tableaux [N.D.L.R. les panneaux de bois travaillé qui sont exposés accrochés au mur comme les dessins et peintures] exposés à 5UN7.
La question de perspective est très souvent présente dans mon travail, et j’aime jouer sur la perception qu’on en a. Par exemple on ne sait pas toujours si l’arête du bâtiment représenté s’avance vers nous ou, au contraire, si elle est en creux. La répétition de certains patterns qui ne renvoient pas toujours à la même chose. Par les jeux d’aplats on est à la fois dans la peinture, avec l’évocation d’une architecture, mais ces formes plus opaques renvoient aussi pour moi aux volumes. La perte de repères du visiteur est pour moi un biais par lequel je recrée un espace. J’aime jouer et m’appuyer sur l’étrangeté, sur le questionnement laissé sans réponse du visiteur qui se demande par exemple si les sculptures détachées de mon installation en font partie, si les espaces laissés vides de peintures représentent les ombres portées de ces sculptures…
Mélanger les codes et les matériaux sont aussi des moyens pour moi de faire appel à la perception du visiteur et de questionner ses références. Par exemple dans mon installation à l’entrée il y a des éléments qui peuvent faire écho à une architecture art-déco et à la fois il y a cette bande de crépi qui pourrait évoquer la maison Bouygues, puis quand on la traverse le revers nous montre peut-être un côté plus kitsch. C’est l’ensemble de la décrépitude et de l’éclat qui m’intéresse, la façon dont ces espaces sont habités et vivent de façon parfois autonome et indépendamment de leurs habitants, comme par exemple les trois peintures de devantures et de façades que j’ai exposées ici. Ce sont des architectures qui pourront faire écho à une histoire, une histoire politique, une histoire culturelle, un mouvement artistique ; mais aussi qui pourront faire appel à la vie même du lieu, comment il est, ou a été, habité et vécu. La couleur aussi me permet de créer un décalage, d’amener le visiteur ailleurs, de recréer encore un univers, qui peut s’apparenter au mouvement Néo-géo par exemple, mais cela construit aussi un côté faussement décoratif qui me plaît beaucoup. Le regard pour moi est essentiel, le mien bien sûr mais surtout aussi celui du regardeur, du visiteur.
Propos recueillis par Julie Hoedts