THIBAULT FRANC
Trafic / Sous leur ombre
// Vernissage le jeudi 15 mai de 18h à 21h
// 15.05 au 28.06__2025
Une constante dans mon travail consiste à mettre en relation nature et culture, écologie et histoire de l’art. Parce que je cherche à responsabiliser mes contemporains sur leur rapport au monde devenu dangereux, mais aussi parce que j’associe différents domaines de la culture pour les faire fonctionner ensemble à la façon d’un écosystème. Comme en permaculture, il s’agit de faire avec plutôt que contre, c’est-à-dire de bricoler avec l’existant, tout en accueillant un maximum de diversité dans l’espace de l’œuvre, pareille à un petit jardin.
Je vais donc trafiquer des images et des œuvres, des objets et des concepts, les remettre en mouvement quitte à les détourner. Il ne s’agit pas de déplacer des œuvres pour les revendre, comme dans le trafic d’art, mais d’œuvrer à des déplacements de sens, un renversement, un art du trafic. On est déjà dans la sphère des échanges aériens internationaux où les appareils peuvent être détournés par des pirates espérant les amener à se poser ailleurs.
Aujourd’hui l’avion est devenu un symbole bien moins positif que celui du seul envol libérateur, capable de donner au monde une nouvelle unité. Le « flight shame », la honte de prendre l’avion, « flygskam » en suédois à l’origine, « avihonte » en français, est un phénomène bien réel. A chacun de juger son impact sur l’environnement, mais les silhouettes d’avions jaunes qui figurent sur internet le trafic en temps réel, sont fascinantes pour un plasticien. Il y a tellement d’appareils à l’écran que le monde semble disparaître par moment, on ne devine presque plus les pays cachés sous la représentation des flux de voyageurs, ou plutôt ce sont ces flux qui donnent leur forme aux continents. Comment réagirions-nous si les avions passaient devant les œuvres dans les musées, en nous empêchant de regarder ?
On a donc un nouveau calque, un masque comme ceux que je fais apparaître sur le visage des artistes, grands maîtres du passé qui deviennent eux aussi des brigands et des pirates, des monte-en-l’air. Les avions rajoutent une couche de couleur sur les cartes, ils montrent et dissimulent en même temps, et nous vivons sous leur ombre, comme nous vivons dans celle de tous les esprits qui nous ont précédés, et qui font la belle terre noire de la culture. Vivre dans l’ombre c’est à la fois bénéficier de ce sol, et un temps de la protection du feuillage des grands arbres, mais aussi chercher de plus en plus la lumière, en espérant une brèche dans la forêt suite à un coup de vent.
Aujourd’hui la tempête est là, crise de civilisation qui vient balayer nos habitudes de confort, notre confiance dans la continuité historique, ce qui est à la fois effrayant, et une chance pour les artistes. Car on peut étouffer sous trop de culture, d’où l’intérêt que je trouve à jouer au sauvage, à réemployer des fragments d’œuvres, des citations plus ou moins tranchantes, comme des haches de pierre taillée. Ré-utiliser, c’est upcycler des images en savourant ce qui nous est déjà donné, plutôt que de toujours rêver de nouveaux horizons. L’avion lui aussi nous vend cet espoir de nous dépayser, quand nous ne faisons qu’uniformiser le monde en nous exportant nous-mêmes.
Pour changer de monde, mieux vaut peut-être affiner nos connaissances et nos sensations là où nous sommes déjà : cultiver notre jardin intérieur, peuplé d’ombres à nommer, à apprivoiser, dans le jeu sans fin de la relecture et de la transmission.
Thibault Franc
Thibault Franc est un artiste français né en 1976 à Bordeaux. Après des études de philosophie, il se consacre aux arts visuels, explorant des disciplines comme le dessin, la peinture, la sculpture et l’art numérique. Son œuvre se caractérise par une fusion d’éléments urbains et naturels, reflétant une quête constante d’équilibre entre sophistication et nature. En 2019, il s’installe en Aveyron, où il combine sa pratique artistique avec des activités liées à la biodiversité et à l’autonomie rurale. Son atelier, rénové en 2023 avec le soutien de la Région Occitanie, est situé en pleine nature, offrant un espace propice à la création et à la réflexion.