La programmation 2019 du CAPC se clôture avec une exposition de Lubaina Himid, lauréate du prestigieux Turner Prize en 2017, qui s’articule autour de son installation Naming the Money (2004). Œuvre fondamentale de l’artiste britannique, elle se compose d’une centaine de silhouettes en contreplaqué peintes qui donnent vie aux serviteurs africains représentés auprès de leurs maîtres comme faire-valoir dans la peinture européenne des XVIIe et XVIIIe siècles.
—-
Figure de proue du British Black Art dans l’Angleterre des années 1980, Lubaina Himid développe depuis 40 ans une pratique qui combine projets artistiques, curatoriaux, constitution d’une archive et enseignement, dans laquelle elle interroge la marginalisation de la diaspora noire dans la société contemporaine.
En extrayant ces esclaves de scènes dans lesquelles ils étaient les symboles de la richesse et les marqueurs du statut social de leurs maîtres, Lubaina Himid leur redonne non seulement un corps mais aussi un nom et une capacité d’action collective. Employés comme céramistes, herboristes, fabricants de jouets ou encore dresseurs de chiens, ils nous racontent, sur fond sonore mêlant musique et texte, leurs identités changeantes, passant de leurs noms et métiers africains aux nouveaux noms et professions qui leur sont imposés dans les cours royales européennes. Legs récent de l’artiste au Musée international de l’esclavage de Liverpool, Naming the Money élargit l’expérience de l’esclave à celle de tous les « migrants », dont les identités personnelles sont défaites et refaites selon les pressions exercées par les forces politiques et économiques mondiales.
Déployée au cœur de la nef du musée d’art contemporain de Bordeaux, cette installation rappelle la vocation première de l’entrepôt qui abrite le CAPC depuis les années 1970. Construit en 1824, une dizaine d’années après l’abolition officielle de la traite négrière, il fut utilisé pour stocker les denrées coloniales (café, sucre, cacao, coton, rhum, vin, morue, épices, etc.) en transit vers l’Europe du Nord, qui firent la fortune du négoce maritime bordelais pendant plus d’un siècle.
En contrepoint à cette foule bigarrée au sein de laquelle le spectateur est invité à déambuler, Lubaina Himid expose neufs diptyques peints aux motifs géométriques abstraits. Issue de voyages réels ou intérieurs qui exaltent la mémoire de son île natale, cette série de peintures, intitulée Zanzibar, évoque plus qu’elle ne convoque et répond à Naming the Money par un silence sonore.
Commissaire : Alice Motard
Lubaina Himid est née en 1954 à Zanzibar en Tanzanie, d’un père comorien et d’une mère anglaise. Installée au Royaume-Uni depuis sa toute petite enfance, elle vit et travaille à Preston, où elle enseigne l’art contemporain à l’université du Lancashire. Elle est représentée par la galerie londonienne Hollybush Gardens.
Son travail a fait l’objet d’expositions monographiques récentes au New Museum, New York (2019) ; au BALTIC Centre for Contemporary Art, Gateshead (2018) ; à la Walker Art Gallery, Liverpool, au Badischer Kunstverein, Karlsruhe (2017). Sa vaste rétrospective conjointe à Spike Island, Bristol et au Modern Art Oxford en 2017, ainsi que sa participation à l’exposition The Place is Here à Nottingham Contemporary lui vaudront d’être nominée pour le Turner Prize, qu’elle remporte cette même année. En 2019, son travail sera également montré dans des monographies au Frans Hals Museum, Haarlem et à la Tate Britain, Londres.
Avec le soutien de Fluxus Art Projects, programme franco-britannique pour l’art contemporain soutenu par le ministère de la Culture, l’Institut français et le British Council.
Image : Lubaina Himid, « Naming the Money » (2004), Vue de l’exposition « Navigation Charts », Spike Island, Bristol, 2017. Courtesy de l’artiste, Hollybush Gardens, Londres et National Museums Liverpool: International Slavery Museum. Photo : Stuart Whipps