Né en 1973 en Lorraine (France), Olivier Lounissi vit et travaille à Paris. Diplômé de l’Ecole supérieure d’art de Metz, Lounissi a développé une pratique artistique polymorphe qui fait écho à la pluridisciplinarité que défend les Art’Gentiers.
La série Armada qu’Olivier Lounissi développe depuis 2014 convoque un objet de notre quotidien ô combien évocateur et familier. Cependant, l’artiste nous piège d’emblée en détournant directement le regard. Le billet est faux, c’est un leurre, un fac-similé dessiné et plié en deux dimensions. « Ceci n’est pas un billet de banque ».
Pas d’erreur possible donc : c’est le symbole et son détournement que nous regardons et l’artiste questionne la nature même du morceau de papier dans lequel l’humanité entière infuse collectivement une valeur, un pouvoir.
Dans une logique de plongeon dans l’image, la seconde lecture amène à considérer la figure représentée sur le billet-même. Le symbole dans le symbole en quelque sorte. Encore une fois, l’œuvre détourne une notion éminemment familière, celle du portrait officiel, hiératique, posé et digne. Le visage représenté est déformé, recomposé, grimé presque. L’homme politique qui est choisi pour figurer sur nos billets de banques, représentant le « meilleur » de notre humanité, est vidé de son sérieux et de son pouvoir comme le billet sur lequel il apparaît. L’artiste joue ainsi d’un seul mouvement d’origami avec l’objet, l’image, le symbole et la forme classique du portrait en peinture.
Le troisième niveau de lecture continue de nous plonger dans cette réflexion. Les billets sont dessinés sur des surfaces qui miroitent fidèlement leurs silhouettes. Œil pour œil, trait pour trait.
Si nous avions un doute sur la remise en question en cascade que cette œuvre appelle, le reflet dans le miroir la confirme. Le billet de banque ainsi que la figure politique qui le décore se regardent tel Narcisse dans le lac en révélant et questionnant une nouvelle notion : la vanité. Tant celle d’une humanité capitaliste que celle des hommes symboles qui en sont le visage.
La série de sculptures éponyme met elle aussi en abîme le regard et renforce une dimension présente dans les dessins : celle du doute.
Nous nous trouvons à présent devant de vrais bateaux pliés en trois dimensions, posés sur des miroirs. Seulement Lounissi désarme encore une fois cette Armada.
Il n’y a pas de papier, pas de billets, qu’ils soient faux ou vrais. Ce sont des feuilles de cuivre, d’inox ou de maillechort que l’artiste a pliées et gravées en imitant des billets de banques pour sculpter ses navires. Leurs couleurs surprennent immédiatement : doré, argenté ou bronze, il n’y a plus d’encre et les bateaux semblent être fondus dans les mêmes métaux que nos pièces de monnaies.
Le matériau est ici le symbole ; l’économie est devenue la façon de se faire la guerre au XXe et au XXIe siècle. La forme même du bateau n’est pas anodine et c’est sur cette dernière image, ce dernier niveau de lecture que l’artiste nous piège à coup sûr. Le bateau plié est un des premiers jeux qui nous émerveille, enfant. C’est une porte d’entrée inoffensive et immédiatement reconnaissable qui nous met en confiance.
En cela, Lounissi s’inscrit dans la lignée des artistes joueurs tels Magritte ou Broodthaers qui, avec l’espièglerie de l’enfance, questionnent notre regard sur le monde de manière ludique et amusée sans en sacrifier la profondeur de sens. Avec Armada, le billet devient un miroir et les œuvres nous rappellent qu’il y a toujours plus à découvrir au-delà de la surface.
Il nous invite à voir autrement sans pour autant être moralisateur.
Il compose une grille de lectures sur plusieurs niveaux et nous laisse choisir la règle du jeu pour la déchiffrer. Tous les sens se valent puisqu’en définitive, c’est l’esprit critique que plie et déplie Lounissi à l’infini et qu’il nous invite, avec Armada, à affuter et à ne jamais perdre de vue.