La galerie LMR présente : Attention au recul !
une rétroperspective de Thierry LAGALLA
Exposition du 27.09 au 15.11.2025
vernissage vendredi 26 septembre à 18h
Voilà aujourd’hui presque vingt ans que la galerie LMR travaille avec Thierry Lagalla. Nous savons qu’il serait illusoire de parler d’une rétrospective car son œuvre n’est pas de celles qui avancent en ligne droite. Elle se rejoue, se répète, se contredit, se retourne. Chaque image n’y est pas une conclusion mais un recommencement, un fragment qui fait signe vers un éternel retour, vers le fil d’une pensée jamais close.
Une exposition ne raconte jamais simplement un parcours. Elle met en jeu un temps discontinu, un espace chargé de réminiscences, une matière qui continue de travailler même quand on croit l’avoir saisie. L’exposition de Thierry Lagalla, intitulée Attention au recul !, prend une forme singulière, un accrochage à l’italienne, foisonnant, presque baroque, où peintures, dessins, sculptures se pressent sur les murs comme dans un palazzo. Ici, il ne reste rien de l’épure contemporaine mais au contraire une profusion dense qui ne cherche pas à ordonner et qui provoque la circulation du regard. Dans cette abondance, les œuvres ne se commentent pas, elles se confrontent, se heurtent, se relancent. Car, chez Thierry Lagalla, la pensée ne passe pas par le système mais par la dissonance. Un art qui rejoint souvent la pensée nietzschéenne dans l’idée que la vérité n’est pas un bloc mais un éclat, que la pensée n’avance pas en ligne droite mais en zigzag, en boucle. L’œuvre ne démontre rien, elle éprouve. Elle engage le spectateur dans un rapport immédiat au réel, à la fois comique et grave, trivial et métaphysique.
À travers cette rétroperspective, on comprend que le motif est le cœur de l’œuvre. Mais il n’y est pas seulement ce que l’artiste représente, il devient ce qui fait agir. Donc, action ! Une patate, une boîte à Meuh, une tranche de mortadelle, un torchon ou une prise, autant d’éléments mineurs qui, arrachés à l’insignifiance, deviennent matière à penser. L’art de Lagalla déplace le regard. Il prend ce qui s’use, ce qui se perd, ce qui tombe, et en fait le lieu même de la lucidité. D’où l’importance de la nature morte, revisitée à contre-courant, sans fruits éclatants ni vanités symboliques mais avec des objets sans prestige, des restes. Le temps y apparaît non comme une suspension glorieuse mais comme une décomposition active, une persistance du banal qui devient presque insoutenable. La vanité n’est plus une leçon morale, elle est la simple évidence que tout glisse, tout échappe, tout finit par s’effondrer. Elle est une vanité d’un autre ordre, celle qui constate que tout s’use mais que l’usure même ouvre un champ de possibles. Le réel se décompose et dans sa décomposition, il se transforme en image, en rire, en pensée.
Cet art de la glissade, de la chute lagallien rejoint aussi bien Picasso que Picabia. Picasso pour la vitalité, Picabia pour l’impertinence et la défiance envers toute hiérarchie esthétique. Mais chez Lagalla, c’est encore autre chose, il ne s’agit ni de célébrer ni de provoquer, mais d’habiter la gravité, littéralement, de donner forme à ce qui tombe. On pense alors à Fellini, non pour l’opulence carnavalesque, mais pour cette capacité à capter dans le grotesque une lueur de vérité, dans l’attente un silence qui dure plus que toute parole.
Cette exposition se donne à voir comme une vanité élargie, non pas une image close mais un espace débordant, où les œuvres de toutes sortes tiennent ensemble par frottement, par écart, par résonance. Ce n’est pas un résumé ni un bilan. C’est un présent saturé, qui réunit des fragments hétérogènes pour rappeler que la pensée n’a pas de centre mais seulement des points d’intensité.
Dans sa rétroperspective : Attention au recul !, rien n’est à conclure. Ce qui compte n’est pas d’apprendre ce que Lagalla aurait « voulu dire » mais de laisser les œuvres continuer de penser en nous, sans fin, sans repos. Dans la drôlerie comme dans la gravité, dans l’insistance des motifs comme dans la fragilité des choses, elles nous placent devant ce qui échappe, dans ce mouvement sans système, où réside l’intelligence la plus vive du réel. Une exposition qui ouvre vers un rire qui nous rappelle qu’entre une pomme de terre oubliée et une toile monumentale il n’y a pas d’échelle, seulement le jeu fragile et joyeux d’un monde qui recommence… sans se presser.
Florence Beaugier Piovesan