L’artiste plasticienne et vidéaste Mona Convert participe au parcours d’art faireungeste. A cette occasion, nous lui avons posé quelques questions.
____________________
Pourriez-vous vous présentez en quelques mots, puis parler de votre parcours ?
J’ai aimé tôt le cinéma et la littérature : après des études de lettres, j’ai bifurqué vers l’École d’art des Rocailles, à Biarritz, puis l’École de Recherche Graphique (ERG) de Bruxelles, et enfin les Beaux-Arts de Lisbonne où j’ai obtenu un master en art multimédia et où je développe aujourd’hui un doctorat en art sous la direction de Susana de Sousa Dias. J’ai eu la chance de rencontrer, dans chacune de ces institutions, des camarades et des professeur.e.s qui ont profondément nourri ma pratique. Je crois que le fait de passer d’une école à l’autre, d’un pays à l’autre a aussi été central pour la construction de ma pratique et de ma vie.
En parallèle de mon parcours universitaire, ma pratique est aussi fondée sur une organisation collective des pratiques artistiques, une école des fossés. Je crois qu’il est essentiel de fabriquer des espaces de solidarité, non seulement pour des raisons très concrètes liées aux moyens que l’on peut mettre en oeuvre à plusieurs, mais également pour ne jamais oublier de se confronter à l’altérité et à la rencontre, aux conflits qu’elles engagent et aux joies qu’elles nous offrent. J’ai fait partie du collectif chôSe, collectif de poésie performative pendant quelques années, et je fais aujourd’hui partie d’Artistes & Associés, une association qui cherche précisément à permettre à de jeunes ou moins jeunes artistes d’accéder à des moyens et des espaces de production, à des moments de rencontre, à la diffusion de leur travail. Je travaille aussi régulièrement avec le festival Uzeste Musical, où j’ai notamment rencontré l’équipe de pyrotechnicien.ne.s de Pyro’zié, avec qui je développe le projet présenté ici.
L’un de vos projets est actuellement exposé dans l’une des étapes du parcours d’art faireungeste, pourriez-vous en dire un peu plus ?
Le projet que je présente au château Siran s’appelle « Un pays en flammes – éclats ». C’est une série de photogrammes, qui constitue l’une des diverses formes d’un projet plus ample qui m’occupe depuis presque deux ans déjà. Intitulé « Un pays en flammes », ce projet constitue à la fois ma thèse doctorale et un documentaire de création (produit par Triptyque films et Kintop) qui est aujourd’hui à l’état de développement – et il crée également des détours comme celui-ci.
« Un pays en flammes », c’est un film que je construis avec la compagnie de pyrotechnie Pyro’zié, composée de Margot Auzier, Patrick Auzier, et Guillaume Pujol, , un film qui aborde leurs pratiques du feu notamment dans le territoire si
particulier de la forêt des Landes. Le désir de réaliser ce film, tout comme de réfléchir théoriquement aux poétiques et politiques du feu qu’engage un travail pyrotechnique vient de la puissance visuelle et poétique des feux d’artifice de Pyro’zié : il se passe, lorsqu’on assiste à l’un d’entre eux, quelque chose comme une rencontre brutale des temps et des lieux. On s’y trouve projeté dans le cosmos ou dans la guerre, dans quelque chose d’en même temps tout à fait archaïque et tout à fait contemporain. Le feu, et avec lui les techniques et arts du feu, les innombrables mythes et imaginaires qui les traversent, nous encouragent à ne pas proposer un regard unilatéral, mais au contraire, à embrasser, à embraser les complexités et les paradoxes du monde.
Pour « Un pays en flammes – éclats », le film étant toujours en cours de construction, j’ai souhaité travailler le montage dans l’espace plutôt que dans le temps, en proposant des images fixes. Elles forment une ligne qui pourrait s’apparenter à une timeline de montage, mais conservent également leur autonomie. Pour ces photogrammes, j’ai été particulièrement attentive à la notion d’éclairage: le feu est source de lumière, il fait apparaître et disparaître dans nos nuits des éléments en les isolant de leur environnement. J’ai voulu travailler ces images à la lisière du visible, tentant d’en faire surgir des « éclats » du film à venir.
Pour décrire votre pratique, vous parlez de territoires de questionnements, où se croisent poésie et problématiques politiques et sociales contemporaines, quelles conditions doivent être réunies pour matérialiser ces territoires ?
Je crois que ces territoires se trouvent à la croisée de la vie et de la pratique artistique : il y a d’une part une certaine manière de travailler, de créer des réseaux de solidarité, qui sont indissociables pour moi des formes plastiques. Comme je l’ai dit, je ne travaille pas seule : particulièrement pour les films, mais pour presque toutes les formes, il y a une réelle présence des personnes que je filme ou des personnes avec qui je travaille, qui m’aident à penser ou à construire des objets. Je veux dire par là que la manière de fabriquer des objets d’art ou des objets cinématographiques, la politique du travail qui y est à l’oeuvre, a selon moi un véritable impact sur les formes qui en émergent.
Je crois aussi qu’envisager un objet – notamment un film – sous l’angle du territoire plutôt que sous l’angle de l’histoire engage une manière particulière d’aborder les éléments visuels et sonores qui vont, ensuite, constituer le film : dans un territoire que l’on traverse, ou dans lequel on circule, il n’y a pas une histoire ou un récit, mais une multitude d’histoires et de récits, il y a une multitude d’êtres (humains, animaux, végétaux) qui le peuplent, ou qui l’ont peuplé avant nous : c’est un lieu d’hétérogénéité des temps, des récits et des êtres. Parcourir un territoire, essayer de le traduire, passe donc pour moi par une sorte d’apprentissage des noms de ces êtres et de ces récits, puis de compréhension des constellations qu’ils forment. C’est peut-être ici qu’intervient une approche poétique et politique : la poésie et la politique ont ceci en commun avec le territoire qu’il y est essentiel de nommer les choses par leur véritable nom, et que l’on croit trop souvent pouvoir y dessiner arbitrairement des frontières.
Ces dernières années, cette notion du territoire se construit en suivant les éléments naturels : j’ai toujours été fascinée par leur potentiel d’évocation et c’est en construisant toute la structure de mon film précédent, « entre les rivières – entre os rios – ﮵ن الودانà﮳à سد », autour des mouvements des cours d’eau et de la recherche de sources naturelles autour de la Méditerranée que j’ai compris que les éléments me permettent de fabriquer des films à leur image : versatiles, paradoxaux, traversés de toutes les légendes, mythes ou connotations que nous projetons sur eux. Ils font le lien entre nos temps contemporains et les temps anciens des mythes, entre les lieux aussi, ils ne cessent de nous questionner et de se transformer.
Est-ce que la crise sanitaire est venue interférer avec ce processus créatif ?
Bien sûr. La crise sanitaire a été et continue d’être un choc à l’échelle mondiale, il est difficile voire impossible de passer outre. Au premier confinement, alors que je travaillais avec d’autres artistes (Carlos Cavaleiro, Pablo Gosselin, Tao Rousseau et Pierre Richard) à l’élaboration d’une exposition forestière qui devait se tenir à l’été 2020 au festival d’Uzeste, j’ai transformé cette proposition, avec la complicité de Carlos Cavaleiro et Morgane Galichet ainsi que de l’association Artistes & Associés, en une proposition de livre qui questionnerait notre rapport à la forêt; une sorte d’appel de la forêt, ouvert à tou.te.s, dans lequel nous avons publié toutes les propositions reçues. Cela a donné l’édition Mauvaises herbes, qui rassemble plus de 80 artistes internationaux avec des propositions très diverses. Ça a été pour nous une façon de retrouver un souffle collectif dans un moment d’isolement très violent, une manière de fabriquer un objet qui pourrait circuler et passer de mains en mains même lorsque nous ne le pouvions pas.
Je travaille majoritairement avec le réel, dans une pratique documentaire : la crise sanitaire a rendu impossible de poursuivre cette pratique avec Pyro’zié, qui eux aussi étaient à l’arrêt pour des raisons évidentes. Il a donc fallu trouver des manières de faire persister le feu malgré le couvre-feu : nous nous sommes alors mis à fabriquer ensemble des images de feux d’artifice, et notamment de manipulation de feux d’artifice où le corps est beaucoup plus présent et proche de l’explosif que d’ordinaire. Ce processus s’est réalisé sans public, juste pour la caméra. Ce protocole de travail, qui nous détournait tou.te.s de nos habitudes nous a permis d’inventer des images du feu dans un dialogue constant entre pyrotechnie et cinéma, qui ne seraient pas advenues dans les conditions classiques.
Avez-vous d’autres projets à venir ?
Oui, pour l’instant la collaboration avec Pyro’zié ainsi qu’avec Uzeste Musical a donné lieu à un nouveau projet que nous sommes en train de co-écrire : un
« Artifice-opéra de chambre », qui rassemblerait musique, danse, pyrotechnie, et projection d’images en mouvement dans un espace d’expérimentation et d’improvisation conçu pour les salles de spectacles.